Voie de fait : évolutions récentes à connaître

Longtemps le recours pour voie de fait devant le juge judiciaire n’était pas remis en question, même par la procédure du référé-liberté ouverte au justiciable, depuis le 1er janvier 2001, en cas d’atteinte grave et manifestement illégale à l’une de ses libertés fondamentales par l’administration (art. L521-2 CJA). Mais récemment des évolutions jurisprudentielles notables ont modifié la situation, allant dans le sens d’une restriction du champ d’application de la voie de fait.

D’une part, la Cour de cassation a adopté une conception très restrictive de la voie de fait en considérant que l’inaction prolongée du propriétaire pouvait caractériser une acceptation tacite de l’ouvrage irrégulièrement implanté excluant la voie de fait (Civ. 1ère, 19 nov. 2008, n° 07-17.866). Il en a été jugé ainsi pour des propriétaires qui avaient pleine connaissance de la présence ancienne de la ligne électrique aérienne implantée sans titre sur leur terrain et qui, pendant de longues années, ne s’y sont pas opposés ( Civ. 3e, 19 déc. 2012, n° 11-21.616).

D’autre part, le Conseil d’État a admis la possibilité pour le propriétaire victime d’une atteinte grave et manifestement illégale à son droit de propriété d’agir, en cas d’urgence, devant la juridiction administrative sur le fondement du référé-liberté, quand bien même cette atteinte aurait le caractère d’une voie de fait (CE 23 janv. 2013, n° 365262).

Enfin, le Tribunal des conflits a lui-même restreint le domaine de la voie de fait et, par suite, de la compétence du juge judiciaire. Il pose en principe qu’il n’y a de voie de fait de la part de l’administration, justifiant la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l’administration :

  • Soit a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d’un droit de propriété ;
  • Soit a pris une décision qui a les mêmes effets d’atteinte à la liberté individuelle ou d’extinction d’un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative.

Il a considéré que l’implantation, même sans titre, d’un ouvrage public, en l’espèce un poteau électrique, sur le terrain d’une personne privée ne procédait pas d’un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l’administration. Le litige a donc été renvoyé au juge administratif (T. confl., 17 juin 2013, Bergoend c/ ERDF Annecy, n° 3911 P).

La troisième chambre civile de la Cour de cassation a adopté mot pour mot ce principe pour écarter la voie de fait et décliner la compétence des juridictions judiciaires pour connaître du litige relatif à l’implantation de pylônes électriques sur un terrain privé sans l’accord des propriétaires et sans autorisation d’occupation temporaire (Civ. 3e,11 mars 2015, n° 13-24.133).

Enfin, en application du même principe, la cour administrative d’appel de Bordeaux a reconnu la compétence du juge administratif pour connaître de l’action en indemnisation engagée contre EDF par les propriétaires d’un terrain sur lequel a été irrégulièrement implanté un poteau électrique (CAA Bordeaux, 1ère ch., 13 nov. 2014, n° 13BX00121).

À propos de l’auteur

COUSSY AVOCATS ENVIRONNEMENT ENERGIE URBANISME

Reconnu en droit de l'énergie et de l'électricité (CRE)
Reconnu en droit de l'environnement
Reconnu en droit de l'urbanisme
Reconnu en droit de la sécurité (CNAPS, CNAC, CIAC)

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