Compteur Linky : un sujet toujours sensible.

L’association de défense des consommateurs UFC – Que Choisir a décidé le 24 avril dernier de saisir le Conseil d’Etat afin d’annuler la généralisation du compteur Linky. C’est une nouvelle difficulté qui vient s’ajouter à l’histoire tumultueuse de ce compteur de nouvelle génération, objet de nombreuses controverses.

Le compteur Linky fait partie de ces compteurs « intelligents » ou smart meter qui disposent de technologies avancées, dites AMR (Automated Meter Reading), permettant d’identifier de manière plus détaillée et précise, et éventuellement en temps réel, la consommation énergétique d’un foyer, d’un bâtiment ou d’une entreprise, et de la transmettre, par téléphone ou courant porteur en ligne (CPL), au gestionnaire des données de comptage.

En septembre 2009, l’Union Européenne avait fixé aux Etats membres un objectif de déploiement des compteurs intelligents dans 80% des foyers européens d’ici 2020, et 100% d’ici 2022. En donnant la possibilité de mieux mesurer la consommation électrique, la Commission estime que ces compteurs intelligents peuvent à terme mener à une réduction de 10% de la dépense énergétique.

En France, le Ministre de l’Industrie Eric BESSON avait annoncé le 28 septembre 2011 la généralisation de cet équipement dans 35 millions de foyers en mettant en avant les avantages d’une facturation reflétant exactement la consommation et d’un suivi en temps réel. Il s’engageait à ce qu’aucun surcoût ne soit supporté par le consommateur . D’un point de vue technique, le nouveau compteur a fait l’objet d’une validation suite aux expérimentations menées par ERDF à Lyon et en Indre-et-Loire à partir de 2009.

Malgré ces arguments au service de sa promotion, le compteur Linky est devenu une véritable pomme de discorde sur plusieurs terrains :

– Dès 2010, la CNIL avait souligné les problèmes liés au respect de la vie privée des consommateurs . En effet, les compteurs intelligents collectent des informations très précises concernant la consommation d’énergie du logement. Ces informations sont transmises par les compteurs au distributeur du réseau d’énergie (par exemple ERDF) qui les transmet à son tour aux fournisseurs d’énergie et peuvent permettre de déduire des informations très personnelles sur les habitudes des usagers. A cet égard, la CNIL évoquait un « risque de traçage » des usagers et la nécessité pour les distributeurs d’énergie d’apporter des garanties sérieuses sur la sécurisation de ces données et leur confidentialité.

– L’association Robin des Toits s’est interrogée sur l’impact négatif sur la santé des riverains que pourraient générer les ondes produites par le compteur (utilisation de la technologie radiofréquence/CPL). Dans une lettre ouverte destinée au ministère de l’Écologie , l’association préconisait d’ailleurs de passer par le réseau téléphonique afin d’éviter une forte augmentation du réseau. L’association a par la suite déposé le 30 novembre 2011 un recours au Conseil d’Etat contre la décision du ministre de l’énergie de généraliser le compteur en évoquant entre autre « un manquement total au principe de précaution » .

– En novembre 2011 s’est amorcé un bras de fer entre EDF et les collectivités locales, propriétaires et concédantes des réseaux électriques, réunies sous le sigle de la FNCCR (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies). Au coeur de l’affrontement se trouve la question du financement du déploiement des compteurs, évalué à 4 ,3 milliards d’euros par ERDF. EDF avait annoncé via son PDG, Henri Proglio, que la charge de déploiement serait supportée par l’entreprise, à condition qu’ERDF devienne propriétaire des compteurs… ce que refuse les collectivités locales, propriétaires actuels dans le cadre de concessions de service public. Après des mois de débat, le compromis envisagé était de considérer les compteurs Linky comme des biens « de retour » ou « de reprise », c’est-à-dire que le GRD (gestionnaire de réseau de distribution) en soit le propriétaire le temps d’amortir son investissement, puis les rendre aux collectivités locales. Un porte-parole d’ERDF a indiqué le 16 avril 2012 la suspension des négociations à ce sujet sur décision de FNCCR .

Le recours pour excès de pouvoir déposé par l’UFC – Que Choisir devant le Conseil d’Etat ajoute aujourd’hui une nouvelle difficulté sur le chemin chaotique du déploiement de Linky. Acté depuis un arrêté du 4 janvier 2012, la généralisation du compteur intelligent provoque l’émoi de l’association de consommateurs qui estime que le compteur ne répond pas aux exigences normatives européennes et nationales, et ne permet pas une meilleure maîtrise des consommations énergétiques et de leur budget.

En outre, elle relève trois carences majeures :

– L’absence d’évaluation probante préalable à la généralisation ;

– L’absence d’affichage déporté qui doit permettre aux consommateurs de mieux connaître leur consommation d’énergie en temps réel et ainsi de la maîtriser ;

– La privatisation de l’accès aux données essentielles de consommation ;

L’association rappelle en outre que malgré l’engagement gouvernemental pris à la faveur d’une gratuité pour les consommateurs, le décret de 2010 prévoit que les consommateurs le paieront via le TURPE (le tarif d’utilisation du réseau public d’électricité).

Aujourd’hui, l’appel d’offres destiné à sélectionner les fabricants de Linky ne peut toujours pas être lancé, pénalisant et inquiétant les fabricants de compteurs français. ERDF quant à elle avance ses pions. En effet, le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité a signé le 26 avril dernier un partenariat avec Legrand, spécialiste des infrastructures électriques et numériques du bâtiment. L’accord porte sur le développement en commun de solutions « Linky ready », des solutions compatibles avec le compteur communicant Linky et destinées à mieux connaître les besoins des consommateurs .

Si la généralisation du compteur intelligent est dénoncée et retardée, il apparait que la technologie employée et son déploiement ne sont pas remis en question à l’heure actuelle.

BC et HM

À propos de l’auteur

COUSSY AVOCATS ENVIRONNEMENT ENERGIE URBANISME

Reconnu en droit de l'énergie et de l'électricité (CRE)
Reconnu en droit de l'environnement
Reconnu en droit de l'urbanisme
Reconnu en droit de la sécurité (CNAPS, CNAC, CIAC)

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