Fait rarissime : le juge annule un arrêté de création de zone de développement éolien (ZDE)

Le rapporteur public, Madame Marie Béria-Guillaumie, avait conclu à l’annulation d’un arrêté de ZDE délivré par le Préfet de la Creuse.

Celui-ci permet de garantir aux promoteurs éoliens le rachat de l’électricité qu’ils produisent par EDF-Obligation d’achat.

L’absence d’évaluation réelle du potentiel éolien a conduit le juge a suivre les conclusions du Rapporteur en se prononçant également pour son annulation (voir le fichier attaché).

Conclusions du Rapporteur public

« Plusieurs directives communautaires et, plus précisément la directive n°2001/77/CE du 27 septembre 2001 relative à la promotion de l’électricité d’origine renouvelable, ont fixé, pour chaque Etat de l’Union, des objectifs de réduction des énergies fossiles émettrices de gaz à effet de serre et, corrélativement, des objectifs de production d’énergie renouvelable. Ce renforcement du recours aux énergies renouvelables passe, entre autres, par le recours à l’énergie éolienne. Afin de favoriser la production d’énergie éolienne, la loi n°2000-108 du 10 février 2000 a ainsi institué une obligation d’achat par EDF ou des distributeurs non nationalisés, de l’énergie éolienne pour les appareils d’une puissance inférieure à 12 MW, ce qui favorisait de facto le développement quelque peu aléatoire de petits parcs éoliens. Afin de rationaliser l’implantation urbanistique et l’insertion paysagère des éoliennes et d’éviter un « mitage » du territoire, le législateur est intervenu à deux reprises. Une première fois par la loi n°2003-8 du 3 janvier 2003 qui a prévu la mise en place de schémas régionaux éoliens, dont l’objet est de répertorier les secteurs géographiques les plus adaptés à l’implantation d’éoliennes. Une deuxième fois par la création, par la loi n°2005-781 du 13 juillet 2005, de l’article 10-1 de la loi du 10 février 2000 instaurant les « zones de développement de l’éolien (Z.D.E.) ».

Cet article, dont vous avez à connaître aujourd’hui, disposait, dans sa rédaction alors en vigueur, que : « Les zones de développement de l’éolien sont définies par le préfet du département en fonction de leur potentiel éolien, des possibilités de raccordement aux réseaux électriques et de la protection des paysages, des monuments historiques et des sites remarquables et protégés. Elles sont proposées par la ou les communes dont tout ou partie du territoire est compris dans le périmètre proposé ou par un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, sous réserve de l’accord de la ou des communes membres dont tout ou partie du territoire est compris dans le périmètre proposé (…) ».

Une définition des Z.D.E. a été esquissée par le Conseil d’Etat dans une décision du 16 avril 2010, M. B. et Association Rabodeau Environnement (n°318067, aux tables du recueil). Le Conseil d’Etat a ainsi indiqué « (…) qu’un arrêté portant création d’une zone de développement de l’éolien a pour objet la définition d’un périmètre privilégié par les autorités publiques pour l’implantation des éoliennes ; qu’il repose sur une appréciation comparative et globale, à l’échelle d’un vaste territoire, des regroupements qu’il convient de favoriser dans le but notamment de respecter les paysages et les sites remarquables et protégés (…) ».

En l’espèce, la Communauté de communes de Chénérailles et la Communauté de communes d’Evaux-Chambon ont souhaité, conjointement, obtenir la création d’une zone de développement de l’éolien sur le territoire de la commune du Chauchet. Elles ont déposé, auprès des services de la préfecture de la Creuse, une demande en ce sens, le 18 mai 2009. A l’issue de l’instruction de leur demande, par un arrêté du 23 mars 2010, le préfet de la Creuse a décidé la création de la Z.D.E. du Chauchet. L’ASSOCIATION SAINT-PRIEST ENVIRONNEMENT, qui, au vu de ses statuts, a intérêt pour agir et est régulièrement représentée par son président, M. C. et M. D., résidents de la commune d’Evaux-les-Bains, mais propriétaires de biens immobiliers dans la commune de Saint-Priest, commune voisine de celle du Chauchet, vous demandent d’annuler l’arrêté du 23 mars 2010.

Les requérants invoquent de très nombreux moyens à l’encontre de l’arrêté contesté, mais un moyen, particulièrement, retiendra votre attention et est, à mon sens, de nature à entraîner l’annulation de l’arrêté contesté. L’ASSOCIATION SAINT-PRIEST ENVIRONNEMENT, M. C. et M. D. soutiennent, en effet, que le dossier qui accompagnait la demande de création de la Z.D.E. du Chauchet ne présentait pas suffisamment d’éléments pour permettre au préfet d’apprécier le potentiel éolien de la zone en cause. L’article 10-1 de la loi du 10 février 2000, dans sa rédaction alors en vigueur, prévoyait que la proposition de zones de développement de l’éolien « est accompagnée d’éléments facilitant l’appréciation de l’intérêt du projet au regard du potentiel éolien, des possibilités de raccordement aux réseaux électriques et de la protection des paysages, des monuments historiques et des sites remarquables et protégés (…) ». Le juge administratif a ainsi été amené à annuler des créations de Z.D.E. lorsqu’il a estimé que le préfet n’avait pas disposé de données suffisamment précises sur le potentiel éolien de la zone retenue. Vous pourrez voir, à titre d’exemples, confirmant vos jugements sur ce point, les arrêts de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 2 novembre 2011, Ministre de l’écologie contre Association de sauvegarde de la Gartempe (n°10BX02202), estimant le préfet insuffisamment informé par le seul schéma régional éolien et les données d’une station météorologique située à vingt kilomètres du site ou l’arrêt du même jour Ministre de l’écologie et Communauté de communes de la Basse-Marche (n°10BX02176) estimant le préfet insuffisamment informé par le seul schéma régional éolien et une campagne de mesures dont les résultats et la méthodologie n’avaient pas été portés à la connaissance du préfet. En l’espèce, il ressort des extraits de dossier de demande qui sont produits par les parties que les données qui y figuraient concernant le potentiel éolien de la zone provenaient du schéma régional éolien, de la station météorologique de Lépaud, située plusieurs kilomètres du Chauchet. Figuraient également au dossier les données recueillies par un mât de mesures implanté à Viersat à plus de vingt kilomètres du Chauchet. S’il est exact qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’impose que le dossier soit accompagné d’une campagne de mesures effectuée par un mât situé dans la zone même prévue pour la création de la Z.D.E, les données fournies à l’appréciation du préfet doivent être adéquates. Or il ressort des écritures mêmes du préfet, ainsi que des données du schéma régional éolien, que les conditions de vent au Chauchet sont relativement différentes de celles qui existent à Lépaud ou à Viersat et qu’en conséquence, les données recueillies sur ces sites ne peuvent être immédiatement retenues pour déterminer le potentiel éolien présent au Chauchet. En outre, s’il ressort des pièces du dossier qu’un mât de mesures a été installé dans la zone même, le préfet indique qu’il est trop tôt pour exploiter ses données. Dès lors, au vu des exigences de la jurisprudence, et notamment de celles de la cour administrative d’appel de Bordeaux dans sa série d’arrêts de novembre 2011, l’ASSOCIATION SAINT-PRIEST ENVIRONNEMENT, M. C. et M. D. sont fondés à soutenir que le préfet de la Creuse, avant de décider la création de la Z.D.E. litigieuse, ne disposait pas d’éléments concernant le potentiel éolien de la zone suffisants pour exercer le pouvoir d’appréciation que lui conféraient les dispositions alors en vigueur de l’article 10-1 de la loi du 10 février 2000. Vous pourrez accueillir ce moyen et annuler, pour ce motif, et sans qu’il soit besoin de surseoir à statuer dans l’attente de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité au demeurant mal identifiée par les requérants, l’arrêté contesté du 23 mars 2010.

Par ces motifs, je conclus :

– à l’annulation de l’arrêté du 23 mars 2010 par lequel le préfet de la Creuse a décidé la création d’une zone de développement de l’éolien sur le territoire de la commune du Chauchet,

– à la condamnation de l’Etat à verser une somme de 500 euros chacun à l’ASSOCIATION SAINT-PRIEST ENVIRONNEMENT, M. C. et M. D. »

Réf : TA Limoges, Audience du 9 fév. 2012, n°1000722, Assoc. Saint-Priest Environnement, M.C et M.D, conc. Mme Béria-Guillaumie

À propos de l’auteur

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Reconnu en droit de l'énergie et de l'électricité (CRE)
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Reconnu en droit de la sécurité (CNAPS, CNAC, CIAC)

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