Dans un arrêt du 8 février 2022, le Conseil d’État a affirmé qu’un dommage causé par la réalisation d’un ouvrage public mal conçu présentait un caractère accidentel dès lors qu’une amélioration de l’ouvrage aurait permis d’empêcher le dommage. En conséquence, le préjudice anormal et spécial est présumé, la victime n’a pas à en apporter la preuve et la responsabilité sans faute de l’administration est engagée.
Tout d’abord, la notion de « travaux » est un terme ambivalent qui peut aussi bien désigner une opération matérielle qu’un ouvrage qu’un résultat d’un travail fait . De plus, le terme de « travaux publics » est doté de deux définitions jurisprudentielles. D’une part, il s’agit des travaux immobiliers réalisés pour le compte d’une personne publique dans le but d’utilité générale (CE, 10 juin 1921, Commune de Monségur n°45681). D’autre part, le terme se définit aussi comme les travaux immobiliers réalisés par une personne publique pour l’accomplissements d’une mission de service public (TC, 28 mars 1955, Effimieff n°01525). Tous les travaux qui ne répondent pas à ces définitions sont qualifiés de travaux privés.
Dès lors, les contrats de travaux (marchés ou contrats de concessions) peuvent avoir pour objet tant la réalisation de travaux que la construction d’un ouvrage public. Pour rappel, trois critères jurisprudentiels sont nécessaires pour qu’un bien est le caractère d’ouvrage public. Premièrement le bien doit être un immeuble (que ce soit par nature ou immeuble par destination : CE, 11 décembre 1970, Ville de Saint Nazaire n°73600). De plus, le bien doit nécessairement être le produit d’un aménagement, autrement dit du fait de l’homme et non naturel. Enfin, le bien doit être affecté à l’intérêt général soit parce qu’il est attribué à l’usage du public, soit à un service public.
En matière de construction d’un ouvrage public, comme en matière de réalisation de travaux publics, un dommage de « travaux publics » au sens large entraine des conséquences juridiques, et notamment un régime de responsabilité. En effet, le régime de responsabilité est différent si la personne qui subit le dommage est un tiers ou un usager.
Selon une jurisprudence constante, lorsqu’un tiers subit un dommage de travaux publics, la réparation se fait sur le terrain de la responsabilité sans faute. Le Conseil d’État a notamment jugé dans son arrêt du 3 mai 2006 n°261956 que « le maître d’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers en raison tant de leur existence que de leur fonctionnement »
Le plus souvent les dommages de travaux publics sont accidentels mais il peut arriver qu’ils soient permanents. Or, le régime de responsabilité sans faute de l’administration n’indemnise qu’en présence d’un préjudice anormal et spécial. Il s’avère que ce préjudice est présumé si le dommage est accidentel alors qu’il reste à prouver lorsque le dommage est permanent.
En l’espèce, la commune a entrepris la construction d’une maison de santé et de son parking, ouvrages publics. Pour ce faire, elle a procédé au remblaiement de la parcelle jusqu’en limite de propriété. De telles pratiques ont fait peser une charge excessivement lourde sur le muret de la propriété voisine qui s’est alors fissuré. Le propriétaire de cette dernière a demandé au maire de prendre toutes les dispositions nécessaires pour faire cesser le dommage, demande que la commune a implicitement rejeté. Le propriétaire mécontent a alors saisi le juge administratif. Ce dernier, de même que la cour administrative d’appel de Lyon ont rejeté « sa demande tendant à l’annulation de la décision implicite de rejet de sa demande et, en appel, à ce qu’il soit enjoint à la commune de procéder à la remise en état initial du muret et de retirer la terre prenant appui sur ce muret ». En effet, la cour administrative d’appel dans son arrêt a estimé que le dommage était permanent et « inhérent à l’existence même de l’ouvrage public » en ce qu’il provenait de la réalisation du remblai. Selon elle, les dégâts étaient de trop faible ampleur pour que la responsabilité de la commune puisse être engagée sur le fondement d’un préjudice anormal et spécial. Le propriétaire voisin de la maison de santé s’est alors pourvu en cassation.
Le Conseil d’État a annulé la décision de la sixième chambre de la cour administrative de Lyon en date du 30 mars 2021. En effet, il a affirmé que « Ces dommages, qui résultent de l’absence de réalisation d’un dispositif de soutènement des terres ainsi remblayées, ne peuvent être regardés comme étant inhérents à l’existence même de la maison de santé et de son parking ». Ainsi et selon lui, un dommage doit être regardé comme accidentel dès lors qu’une amélioration de l’ouvrage aurait permis de l’empêcher. Dès lors, le préjudice anormal et spécial est présumé, la victime n’a donc pas à en apporter la preuve et la responsabilité sans faute de l’administration est engagée.
Réf: CE, 8 février 2022 n°453105