Depuis sa création par la loi n°2014-626 du 18 juin 2014 (dite loi « ACTPE »), la procédure unique permettant la délivrance d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale (PCAEC) nécessite encore des éclaircissements, notamment en matière de contestation des décisions rendues. En application de ce dispositif, tout recours pour excès de pouvoir dirigé contre un tel permis ne peut être exercé que si le requérant a auparavant introduit une requête devant la commission nationale d’aménagement commerciale (CNAC). Ce recours administratif préalable obligatoire (RAPO) a un objet différent, dans la mesure où il est dirigé contre l’avis rendu sur le projet par la commission départementale (CDAC) qui précède la délivrance du permis. En revanche, les critères déterminant l’intérêt à agir du requérant sont identiques (C. com., art. L. 752-17, I, al. 1er à 3). En tout état de cause, l’issue du RAPO emporte des conséquences plus ou moins claires sur la poursuite du contentieux. Dans un avis rendu sur une question de droit transmise par la cour administrative d’appel de Bordeaux, le Conseil d’État fait le point sur ces conséquences et notamment sur le contrôle qui doit être opéré par le juge administratif lorsqu’il est saisi d’un recours contre un PCAEC.
En l’espèce, la CNAC avait rejeté le RAPO exercé par une société en estimant que celle-ci n’était pas recevable à contester l’avis de la CDAC, au motif que la requérante n’était pas située dans la zone de chalandise définie pour le projet. Par la suite, le permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale ayant été délivré entre-temps par le maire, la société déboutée avait porté l’affaire devant la cour administrative d’appel compétente. Hésitant sur la conduite à adopter, les juges ont réservé leur réponse en attendant l’avis des Sages du Palais Royal sur leurs marges de manœuvre dans ce type de litige.
L’avis de la CNAC, un acte préparatoire insusceptible de recours contentieux
En préambule, le Conseil d’État est interrogé sur la possibilité d’exercer un recours pour excès de pouvoir dirigé directement contre un avis de la CNAC, lorsque celle-ci a refusé de se prononcer sur le fond de l’affaire et qu’elle s’est contentée de déclarer la demande irrecevable. Sur ce point, les juridictions administratives divergent. La cour administrative d’appel de Douai considère ainsi que le recours contentieux ne peut être introduit qu’à l’encontre du permis de construire valant autorisation commerciale (CAA Douai, 1re ch., 7 déc. 2017, n° 16DA00859). La cour administrative d’appel de Bordeaux, en revanche, estime qu’un concurrent peut contester une décision de la CNAC rejetant comme irrecevable son recours sans se prononcer au fond sur les critères prévus par le code de commerce (CAA Bordeaux, 1re ch., 15 nov. 2017, n° 15BX02194).
S’appuyant sur les travaux préparatoires de la loi ACTPE, la Haute juridiction administrative rappelle que le législateur a entendu fusionner les procédures de permis de construire et d’autorisation d’exploitation commerciale, de sorte que même la contestation de ces décisions s’effectue dans un cadre commun. Par conséquent, elle en déduit que les avis rendus par la CNAC à l’issue d’un RAPO présentent le caractère d’un acte préparatoire du permis, insusceptible de recours pour excès de pouvoir. Le bien-fondé et la régularité de la décision de la CNAC peuvent être critiqués par le requérant, mais uniquement au soutien d’un recours dirigé contre le permis.
Un avis irrégulier qui entache la délivrance du permis
La cour administrative d’appel sollicite ensuite l’avis du Conseil d’État quant à la portée de la décision de la CNAC en ce qui concerne la recevabilité du recours contentieux. En effet, en application des dispositions combinées du code de commerce et du code de l’urbanisme, seule une personne ayant qualité pour saisir la CNAC peut contester ultérieurement le permis délivré en tant qu’il vaut autorisation d’exploitation commerciale (C. com., art. L. 752-17, I, al. 3 ; C. urb., art. L 600-1-4, al. 1er). Dans ces conditions, l’absence d’intérêt à agir dans le cadre d’un RAPO implique nécessairement l’illégitimité du requérant à introduire un recours pour excès de pouvoir.
Le Conseil d’État rappelle que l’irrecevabilité prononcée par la CNAC ne lie pas le juge administratif : il appartient à celui-ci d’examiner, en toute indépendance, d’une part, si le requérant peut légitimement agir dans le cadre d’un recours contentieux, d’autre part, si le RAPO déposé précédemment devant la CNAC était lui-même recevable. Dans l’hypothèse où la cour administrative d’appel remettrait en cause l’appréciation portée par la CNAC sur la recevabilité du recours administratif, alors la décision rendue par cette dernière est irrégulière. Cette irrégularité entache, par ricochet, la délivrance du PCAEC dans la mesure où, en application du code de l’urbanisme, celui-ci ne peut être délivré en l’absence d’un avis régulier de la CNAC (C. urb., art. L. 425-4, al. 1er).
Une irrégularité appréciée à l’aune des critères « Danthony »
Le Conseil d’État achève son œuvre clarificatrice en détaillant les conséquences possibles d’un rejet irrégulier d’un RAPO lorsqu’il a été jugé à tort irrecevable par la CNAC. S’appuyant sur les critères dégagés par la jurisprudence « Danthony », il estime que l’erreur de la CNAC ne prive pas le requérant d’une garantie. Dès lors, l’irrégularité ne saurait entraîner l’annulation automatique du permis. Il appartient au juge de rechercher si la décision de la CNAC est susceptible d’avoir eu une incidence sur l’autorisation délivrée par la suite, auquel cas cette dernière doit être considérée comme illégale (CE, 23 sept. 2011, n°335033). Cette illégalité peut toutefois donner lieu à régularisation, le Conseil d’État autorisant le juge à surseoir à statuer dans l’attente d’un permis modificatif, conformément aux dispositions prévues par le code de l’urbanisme (C. urb., art. L. 600-5-1).