L’inconstitutionnalité par la voie de l’exception : une procédure bientôt ouverte à tout un chacun à l’occasion d’un litige

Le garde des Sceaux a présenté, lors du Conseil des ministres du 16 février, deux décrets, le premier portant application de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution et un second relatif à la continuité de l’aide juridictionnelle en cas d’examen de la question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d’État, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel.

La loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution a défini les principales règles de procédure selon lesquelles le Conseil constitutionnel pourra être saisi de questions prioritaires de constitutionnalité soulevées à l’occasion des litiges noués devant les deux ordres de juridiction. La loi organique entrera en vigueur le 1er mars 2010. Ces deux nouveaux décrets fixent des règles complémentaires.

Le premier précise les règles de procédure qui seront mises en oeuvre par les juridictions relevant du Conseil d’État et de la Cour de cassation, ainsi que par les deux cours suprêmes. Il précise notamment le juge compétent pour statuer sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité et les modalités du débat contradictoire, dans le respect de l’exigence d’un traitement sans délai de la question, exprimée par le législateur organique. Il fixe également les règles de composition applicables à la formation de la Cour de cassation, prévue par la loi organique, qui examinera les questions prioritaires de constitutionnalité.

Le second décret a pour objet d’assurer la continuité de l’aide juridictionnelle en cas de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation, puis de renvoi au Conseil constitutionnel. Il garantit l’effectivité du droit reconnu à tous les justiciables, y compris ceux qui bénéficient de l’aide juridictionnelle, d’invoquer l’inconstitutionnalité d’une loi. À cette fin, le décret fixe le montant de la rétribution des auxiliaires de justice prêtant leur concours devant le Conseil d’État, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel.

La question d’inconstitutionnalité aura bien entendu une résonnance particulière en droit de l’environnement.

Cons. min., 16 févr. 2010, communiqué

Le Conseil d’Etat dans les starting block

Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, Bernard Stirn, président de la section du contentieux au Conseil d’État et Jacques Arrighi de Casanova, président-adjoint de la section du contentieux, ont indiqué à l’occasion d’une conférence de presse, le 19 février, que la juridiction administrative était « prête pour examiner les questions prioritaires de constitutionnalité qui lui seront alors soumises, dans les conditions et les délais prévus par la loi organique ». Ils sont revenus sur cet « objet juridique nouveau » qui entre en vigueur le 1er mars.

 

La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 (L. const. n° 2008-724 : Journal Officiel 24 Juillet 2008) a ouvert à tout justiciable la possibilité de soutenir, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction administrative comme judiciaire, « qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit », selon les nouveaux termes de l’article 61-1 de la Constitution. Si le Conseil constitutionnel estime effectivement que la disposition législative ainsi mise en cause n’est pas conforme à la Constitution, son application sera non seulement écartée dans le procès concerné mais, ainsi que le prévoit l’article 62 de la Constitution, elle sera abrogée.

 

Les conditions dans lesquelles une « question prioritaire de constitutionnalité » peut ainsi être posée au juge ont été organisées par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 (Journal Officiel 11 Décembre 2009 ; Dr. adm. 2010, étude 6, P. de Montalivet ; JCP G 2009, 602, B. Mathieu ; Procédures 2010, étude 2, H. Croze). La loi a prévu qu’une telle question devra faire l’objet d’un double filtre par le juge du fond, tout d’abord, puis par le Conseil d’État ou la Cour de cassation, selon la nature de la juridiction devant laquelle la question aura été posée, ensuite.

 

La question prioritaire de constitutionnalité doit être examinée « sans délai » par les juridictions de fond et transmise au Conseil d’État ou à la Cour de cassation si les trois conditions posées par la loi organique s’avèrent remplies :

 

– que « la disposition contestée [soit] applicable au litige » ;

 

– que la disposition n’ait pas « déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances » ; – qu’elle ne soit pas « dépourvue de caractère sérieux ».

 

Le Conseil d’État ou la Cour de cassation sont, quant à eux, chargés, dans un délai de trois mois, de vérifier les deux premières conditions et s’agissant de la troisième, d’apprécier si « la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux ». Si ces conditions sont remplies, la question doit être transmise au Conseil constitutionnel qui dispose lui-même également d’un délai de trois mois pour se prononcer.

 

Le décret n° 2010-148 du 16 février 2010 (Journal Officiel 18 Février 2010) a précisé les modalités procédurales selon lesquelles les « questions prioritaires de constitutionnalité » devront être présentées par les parties et examinées par le juge.

 

S’agissant des tribunaux administratifs, des cours administratives d’appel et du Conseil d’État, ce décret ajoute ainsi un nouveau chapitre au Code de justice administrative. À cet égard, le président de la section du contentieux a précisé que la question prioritaire de constitutionnalité ne sera recevable que si elle fait l’objet d’un mémoire distinct et motivé (CJA, art. R. 771-4) et cela, à toutes les étapes de la procédure (CJA, art. R. 771-11 et R. 771-17). Le traitement de questions « en séries » fait également l’objet de nouvelles dispositions. Il sera possible de ne pas transmettre au Conseil d’État une question prioritaire de constitutionnalité lorsqu’une question identique lui a déjà été transmise, en attendant que le Conseil d’État se prononce, ou lorsque le Conseil constitutionnel en est saisi (CJA, art. R. 771-6 et R. 771-18). À cet effet, la mutualisation de l’information au sein de la juridiction administrative est renforcée afin que chaque juridiction soit en mesure de connaître les questions posées au sein des autres juridictions. Seront également recensées sur le site Internet du Conseil d’État : les questions prioritaires transmises au Conseil constitutionnel ainsi que celles qui ont fait l’objet d’un refus de transmission ; les décisions du Conseil constitutionnel.

CE, 19 févr. 2010, conf. de presse

Comment ça marche concrètement (Circ. 24 févr. 2010, CIV/04/10)

 

Une circulaire de la Chancellerie du 24 février 2010 présente l’application de la réforme constituée par la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant les juridictions judiciaires ; la réforme instaure un dispositif en trois étapes.

 

La première étape se déroule devant toute juridiction relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation. À l’occasion d’une instance en cours, une partie peut désormais soulever un moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.

 

Lorsqu’une telle question est posée devant une juridiction judiciaire, il incombe à celle-ci de statuer sans délai sur sa transmission à la Cour de cassation. Cette transmission doit être ordonnée dès lors que la disposition législative contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites, qu’elle n’a pas déjà, sauf changement des circonstances, été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel et que la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

La deuxième étape se déroule devant la Cour de cassation, qui est chargée de se prononcer sur le renvoi au Conseil constitutionnel. Elle se prononce dans un délai de trois mois suivant sa saisine. Si elle estime n’y avoir lieu à un tel renvoi, elle en informe la juridiction devant laquelle la question a été soulevée, pour permettre à celle-ci de statuer sur l’affaire.

 

Enfin, troisième étape, le Conseil constitutionnel statue sur la conformité à la Constitution de la disposition législative en cause. Sa décision revêt une portée générale, qui excède l’affaire au cours de laquelle la question prioritaire de constitutionnalité a été posée. La disposition déclarée inconstitutionnelle est abrogée et la disposition déclarée constitutionnelle ne pourra plus faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité, sauf « changement des circonstances ».

 

La circulaire développe l’objet de la question prioritaire de constitutionnalité, l’examen de la transmission d’une QPC par les juridictions civiles et pénales, puis l’examen du renvoi de la question par la Cour de cassation.

 

Entrée en vigueur de la réforme. – La réforme est entrée en vigueur le 1er mars 2010 ; elle est applicable aux procédures en cours suivant un régime transitoire particulier (L. n° 2009-1523, 10 déc. 2009, art. 5 ; D. n° 2010-148, 16 févr. 2010, art. 7).

 

Dans les instances en cours lors de cette entrée en vigueur, une question prioritaire de constitutionnalité doit, pour être recevable, être présentée sous la forme d’un écrit distinct et motivé produit à compter du 1er mars 2010.

 

Dans le cas particulier où l’instruction de l’affaire serait close lors de l’entrée en vigueur de la réforme, la présentation d’une question prioritaire de constitutionnalité autorise la juridiction à rouvrir l’instruction dans les conditions suivantes.

 

D’une part, cette réouverture est laissée à l’appréciation de la juridiction, qui y procède si elle l’estime nécessaire.

 

D’autre part, la réouverture est faite pour les seuls besoins de l’examen de la question prioritaire de constitutionnalité. Elle n’autorise donc pas les parties à présenter de nouvelles prétentions ou de nouveaux moyens, sous réserve que la juridiction ne préfère rouvrir les débats ou l’instruction dans leur entier.

 

Enfin, cette règle ne concerne que les instances pour lesquelles l’instruction de l’affaire est close au 1er mars 2010, sans que la juridiction ne soit déjà dessaisie par le prononcé de sa décision sur le fond. S’agissant d’une disposition purement transitoire, elle ne s’applique donc pas aux questions prioritaires de constitutionnalité qui seraient ultérieurement soulevées après clôture des débats ou de l’instruction : une fois que cette disposition aura épuisé ses effets, la réouverture éventuelle des débats ou le rabat de la clôture sera régie par le droit commun de la procédure.

 

En pratique, dans les procédures écrites avec une phase d’instruction préalable aux débats (TGI, procédure avec représentation obligatoire devant la cour d’appel), cette règle transitoire autorise la juridiction à rabattre la clôture de l’instruction pour entendre les parties sur la question prioritaire de constitutionnalité. Dans les procédures orales sans phase d’instruction préalable, cette règle ne concernera que le cas des affaires mises en délibéré, pour lesquelles la juridiction disposera de la faculté de rouvrir les débats.

Suite du feuilleton devant le Conseil d’Etat

 

Par trois décisions du 14 avril 2010, le Conseil d’État vient de renvoyer au Conseil constitutionnel les premières questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) directement soulevées devant lui à l’occasion de litiges dont il a été saisi ; il appartient désormais au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité à la Constitution des dispositions dont l’examen lui a été renvoyé.

 

Deux questions portaient sur des dispositions du Code de l’action sociale et des familles, une autre sur plusieurs dispositions de lois de finances, toutes relatives à la fixation des pensions militaires servies par la France aux étrangers ressortissants de pays anciennement placés sous sa souveraineté, son protectorat ou sa tutelle. Il s’agit, précisément, de l’article 71 de la loi du 26 décembre 1959, de l’article 26 de la loi du 3 août 1981, de l’article 68 de la loi du 30 décembre 2002 et de l’article 100 de la loi du 21 décembre 2006. Ces dispositions, dont l’application conduit à ce que certaines des pensions versées aux étrangers concernés sont moins élevées que celles servies aux pensionnés français, sont contestées au regard du principe constitutionnel d’égalité et, s’agissant spécifiquement du IV de l’article 68 de la loi du 30 décembre 2002, du principe de non-rétroactivité et du droit à un recours juridictionnel effectif. Le Conseil d’État n’a pas renvoyé la question de la constitutionnalité de l’article 71 de la loi du 26 décembre 1959 au Conseil constitutionnel, faute d’applicabilité de cette disposition au litige. En revanche, s’agissant des trois autres dispositions contestées, il a jugé réunies les conditions imposant le renvoi.

CE, 14 avr. 2010, n° 323830, n° 329290 et n° 336753

À propos de l’auteur

COUSSY AVOCATS ENVIRONNEMENT ENERGIE URBANISME

Reconnu en droit de l'énergie et de l'électricité (CRE)
Reconnu en droit de l'environnement
Reconnu en droit de l'urbanisme
Reconnu en droit de la sécurité (CNAPS, CNAC, CIAC)

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