En principe, pour apprécier la légalité d’une décision dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, le juge administratif se place à la date à laquelle la décision a été prise, et non à celle à laquelle il statue.
Une exception existe depuis 2019 : lorsque le juge est saisi de conclusions aux fins d’annulation du refus d’abroger un acte réglementaire, il est conduit à apprécier la légalité de cet acte au regard des règles applicables à la date à laquelle il statue (C.E., 19 juill. 2019, Association des Américains accidentels, n° 424216 et 424217).
Le Conseil d’État a précisé ultérieurement que l’intérêt de basculer vers une appréciation dynamique de la légalité d’une décision s’évalue « eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l’écoulement du temps et l’évolution des circonstances de droit et de fait, afin de conférer un effet pleinement utile à son intervention » (C.E., 12 juin 2020, n° 422327, 431026).
Faut-il alors étendre cette jurisprudence à la décision de refus de dresser un procès-verbal d’infraction ?
Dans son avis du 2 octobre 2025, le Conseil d’État a répondu par la négative, pour trois motifs exposés dans les conclusions de Madame la Rapporteure publique Dorothée PRADINES.
D’abord, en vertu de l’article L. 480-1 du Code de l’urbanisme, le maire est en situation de compétence liée pour dresser un procès-verbal. Apprécier la légalité de la décision à la date à laquelle le juge statue reviendrait à accorder un délai au maire afin de lui permettre d’échapper à son obligation en régularisant la situation litigieuse, ce qui ferait perdre de sa substance à l’obligation légale.
Ensuite, le procès-verbal d’infraction constitue le point de départ des éventuelles poursuites du ministère public, puisqu’une copie doit lui être transmise sans délai. Or, la procédure administrative et la procédure pénale sont indépendantes l’une de l’autre, de sorte que l’action pénale n’est pas privée d’objet du seul fait de la régularisation de la construction, laquelle prive d’objet l’action administrative. Ainsi, une appréciation dynamique de la légalité du refus pourrait définitivement empêcher toute sanction d’une infraction pourtant bel et bien commise.
Enfin, selon l’article L. 481-1 du Code de l’urbanisme, la régularisation de la construction litigieuse ne peut, en principe, intervenir qu’après que le procès-verbal d’infraction a été dressé.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil d’État a estimé qu’il convenait d’apprécier la décision de refus à la date à laquelle elle est intervenue.
Le sens de cet avis s’inscrit dans la droite lignée de l’avis Association de protection de la plage de Boisvinet et son environnement, relatif au refus, par l’autorité compétente, de procéder, à la demande d’un tiers, à la constatation d’une contravention de grande voirie et à la transmission du procès-verbal au tribunal administratif.
Dans cette affaire, le Conseil d’État avait jugé que « si la disparition de l’atteinte à l’intégrité du domaine ou la fin de son occupation irrégulière peuvent être de nature à priver d’objet l’action domaniale, un tel changement de circonstances ne saurait priver d’objet l’action publique » (C.E., 31 mars 2023, n° 470216).
