La période de confinement annoncée par le Gouvernement suite à la pandémie de Covid-19 a entraîné un ralentissement de la vie économique.
En effet, la fermeture des restaurants, des bibliothèques et de tous lieux de rassemblement non essentiels afin de limiter les contacts entre les individus a fait chuter la croissance économique.
Récemment, un article du Monde précisait que le fonds monétaire international (FMI) prévoyait une récession « comme il n’en a pas connu, en temps de paix, depuis près d’un siècle« .
Cependant, si l’activité économique est à l’arrêt, les services publics doivent, quant à eux, continuer de s’exercer si l’on en croit le principe issu des lois de Rolland, dit de continuité de service public érigé par l’arrêt Dehaene du Conseil d’Etat (CE, 17 juillet 1950 Dehaene).
Pour rappel, le service public est défini par René Chapus comme une activité d’intérêt général, assurée ou assumée par une personne publique. Ce principe implique que les administrés soient en droit de recevoir en tout circonstances les prestations nécessaires du service public, qu’il soit permanent ou seulement accessible à certaines heures. En effet, le service public doit fonctionner conformément aux règles qui le régissent.
A ce titre, la police administrative est considérée comme étant un service public qui tend à la protection de l’ordre public.
L’urbanisme est quant à lui considéré comme la police du droit des sols, il résulte donc d’une activité de service public.
Ainsi, se pose la question de la conciliation entre cette activité de service public, le principe de continuité du service public et les mesures adoptées en période de confinement.
Suite à l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période, l’instruction des dossiers de demande d’autorisations d’urbanisme tels que les permis de construire est de facto suspendue.
En effet, l’article 7 de cette ordonnance dispose : « Sous réserve des obligations qui découlent d’un engagement international ou du droit de l’Union européenne, les délais à l’issue desquels une décision, un accord ou un avis de l’un des organismes ou personnes mentionnés à l’article 6 peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus jusqu’à la fin de la période mentionnée au I de l’article 1er.
Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant la période mentionnée au I de l’article 1er est reporté jusqu’à l’achèvement de celle-ci.
Les mêmes règles s’appliquent aux délais impartis aux mêmes organismes ou personnes pour vérifier le caractère complet d’un dossier ou pour solliciter des pièces complémentaires dans le cadre de l’instruction d’une demande ainsi qu’aux délais prévus pour la consultation ou la participation du public. »
(NB : la période à prendre en compte pour l’application des mesures de la présente ordonnance est celle qui débute au 12 mars 2020 et qui s’achève un mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (article 1 ordonnance 2020-306))
L’ordonnance vise expressément la suspension des délais à l’issue desquels une décision d’une autorité administrative doit rendre une décision, un accord ou un avis.
Cela vise en conséquence les demandes d’autorisation d’urbanisme qui doivent faire l’objet d’une instruction.
Cette règle signifie donc que les demande d’autorisation d’urbanisme déposée avant la période de confinement soit, conformément à l’ordonnance 2020-306, avant le 12 mars 2020 ne pourront, d’une part, donné lieu à une décision implicite et d’autre part, ne pourront être examinées par le service instructeur dont les activités semblent être suspendues. En conséquence la vérification du caractère complet du dossier ou encore la demande de pièces complémentaires par le service instructeur ne pourront être effectuées durant cette période.
Cependant, si le service est suspendu, qu’en est-il du principe de continuité du service public?
Le juge administratif a déjà précisé qu’il ne pouvait être porté atteinte au principe de continuité du service public que par un texte législatif.
L’absence de fonctionnement normal du service est susceptible d’engager, en cas de dommage, la responsabilité de la personne publique (par exemple, pour le service public de la justice CE, 13 septembre 2017 n°398160) mais il convient tout de même de noter que les usagers ne disposent pas d’un droit à voir adoptée une réglementation de service minimum (Conseil d’État, 8 mars 2006, n°278999).
Or, pour rappel, les ordonnances de l’article 38 de la Constitution ont un statut juridique ambivalent, tantôt acte réglementaire, tantôt acte législatif.
Cette pratique permet au Gouvernement d’intervenir dans le domaine législatif. Il doit cependant en demander l’autorisation par une loi d’habilitation. Une fois cette loi d’habilitation votée, l’édiction des ordonnances peut avoir lieu.
Enfin, pour être valides les ordonnances doivent être ratifiées par le Parlement dans le délai indiqué dans la loi d’habilitation. Seule cette ratification confère une valeur législative aux ordonnances, qui demeurent auparavant des actes administratifs réglementaires. Une ordonnance non ratifiée dans le délai devient caduque.
En l’espèce, si une loi d’habilitation a bien été adoptée ( la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19) pour permettre au Gouvernement de prendre les ordonnances du 25 mars 2020, aucune ratification n’a encore eu lieu. La loi d’habilitation précise que le Parlement doit le faire dans un délai de deux mois à compter de la publication de chaque ordonnance.
Il résulte donc de ces circonstances que les ordonnances n’ont, pour l’heure, aucun statut législatif.
Est-ce à considérer que le principe de continuité du service public a été bafoué ?
Il convient tout de même de garder à l’esprit que les ordonnances du 25 mars 2020 ont vocation à être ratifiées et sont donc destinées à avoir un statut législatif.
De plus, la jurisprudence a pu se montrer souple face aux ordonnances non ratifiées mais toujours appliquée dans les faits. Le Conseil d’Etat a ainsi estimé que « si une ordonnance prise sur le fondement de l’article 38 de la Constitution conserve, aussi longtemps qu’elle n’a pas été ratifiée, le caractère d’un acte administratif, celles de ses dispositions qui relèvent du domaine de la loi, si elles peuvent être contestées par voie d’exception à l’occasion de leur application, ne peuvent plus, après l’expiration du délai de l’habilitation conféré au Gouvernement, être modifiées ou abrogées que par le législateur ou sur le fondement d’une nouvelle habilitation qui serait donnée au Gouvernement. L’expiration du délai fixé par la loi d’habilitation fait ainsi obstacle à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire fasse droit à une demande d’abrogation portant sur les dispositions d’une ordonnance relevant du domaine de la loi, quand bien même elles seraient entachées d’illégalité, sans qu’ait d’incidence à cet égard la circonstance qu’elles ne sont pas, en raison de leur caractère réglementaire, au nombre des dispositions législatives, visées par l’article 61-1 de la Constitution et l’article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, qui peuvent faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionalité (QPC) » (CE, 12 octobre 2016, n°396170).
La caducité des ordonnances non ratifiées n’est donc pas automatique de telle sorte que l’ordonnance non ratifiée continue d’avoir une existence juridique.
Reste que la prolongation des délais n’autorisent pas les services instructeurs à ne pas poursuivre les mesures d’instruction. Tout refus d’instruire qui serait motivé non pas par les ordonnances mais par un motif tenant à la discontinuité du service public pourrait faire l’objet d’action en responsabilité.
En effet, les ordonnances n’indiquent pas que les dossiers en cours d’instruction ne devraient pas être instruits, autant que faire se peut, dans les délais initialement prévus.
Il est donc indispensable d’écrire aux services instructeurs pour rappeler ces principes et les interroger sur l’état d’avancement du dossier, par voie recommandée pour donner date certaine en cas d’inaction prolongée.