Création d’un fonds de solidarité, report des loyers et des factures, prorogation des délais de publication des comptes et des délais échus, assouplissement des règles de la commande publique, dérogation des règles du droit du travail : le secteur du BTP découvre le détail des mesures d’urgence dont il pourra bénéficier.
Deux jours après la parution de la loi d’habilitation du 23 mars 2020, le gouvernement fait paraître au JO du 26 mars les ordonnances portant les mesures d’urgence destinées à faire face à l’épidémie de covid-19 (voir notre article : “Covid-19 : quelles mesures d’urgence pour la construction”). Parmi les vingt-cinq ordonnances publiées, six sont particulièrement susceptibles d’intéresser les acteurs du BTP.Remarque : un projet de loi de ratification doti être déposé devant le Parlement dans un délai de deux mois à compter de la publication de chaque ordonnance (L. n° 2020-290, 23 mars 2020, art. 11, III).
Création d’un fonds de solidarité
Une aide d’urgence de 1 500 euros sera versée début avril aux TPE, y compris aux travailleurs indépendants, dont l’activité a été interdite ou qui ont connu une forte baisse de chiffre d’affaires (-70 %) lié à la propagation de l’épidémie de covid-19 et aux mesures prises pour la limiter. Un fonds de solidarité est créé à cette fin par l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020, qui sera abondé d’un milliard d’euros, dont 250 millions d’euros en provenance des régions.Remarque : les assurances se sont engagées à contribuer au fonds de solidarité à hauteur de 200 millions d’euros, ainsi qu’à maintenir les garanties d’assurance des TPE qui connaîtraient des difficultés ou des retards de paiement pendant toute la durée de la période de suspension de l’activité (Communiqué de presse du 23 mars 2020 du ministère de l’Économie et des Finances).Ce dispositif de solidarité s’inscrit en complément d’autres dispositifs, tels que l’activité partielle, l’octroi de délais de paiement des charges fiscales et sociales ou les remises d’impôts, qui peuvent s’appliquer en fonction des situations individuelles. Ce fonds est créé pour une durée de trois mois, prolongeable par décret pour une durée d’au plus trois mois. Les critères d’éligibilité des entreprises à ce fonds seront définis par décret, lequel déterminera notamment les seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires ainsi que le seuil de perte de chiffre d’affaire constaté du fait de la crise sanitaire.Rermaque : le gouvernement a précisé que devraient être concernés par le fonds les entreprises ou travailleurs indépendants de moins de 10 salariés, d’un million d’euros de chiffre d’affaires au maximum, ayant fait l’objet d’une perte d’au moins 70 % de leur chiffre d’affaires par rapport à mars 2019.Les conditions d’éligibilité et d’attribution des aides, leur montant et les conditions de gestion du fonds seront fixée par décret.Remarque : ce fonds sera financé par l’État à hauteur et, sur la base du volontariat, par les régions, les collectivités, ainsi que toute autre collectivité territoriale ou EPCI à fiscalité propre. Le montant et les modalités de cette contribution sont définis dans le cadre d’une convention conclue entre l’État et chaque collectivité territoriale ou établissement public de coopération intercommunale volontaire.Report des loyers et factures L’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 permet de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers et des factures (eau, gaz, électricité) afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures. Pourront bénéficier des mesures prévues les entreprises éligibles au fonds de solidarité mentionné ci-dessus.Remarque : le gouvernement a toutefois précisé que ces mesures sont destinées aux petites entreprises les plus durement touchées pour les aider à se maintenir à flot pendant la crise en soutenant leur trésorerie. Le dispositif s’inscrit en complément de mesures déjà opérationnelles (report des échéances fiscales et sociales du mois de mars, prise en charge publique du coût de l’activité partielle, garantie d’État jusqu’à hauteur de 300 milliards d’euros d’emprunts sur les prêts bancaires aux entreprises permettant de consolider leur trésorerie).Par ailleurs, le dispositif interdit l’interruption ou la suspension de la fourniture d’électricité, de gaz et d’eau pour les entreprises concernées, à compter de l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 et jusqu’à la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par la loi d’urgence du 23 mars 2020.
Prorogation des délais de publication des comptes
Pour toutes les entreprises, les délais de publication de leurs comptes seront prorogés pour leur permettre d’accomplir sereinement leurs démarches. Ce dispositif qui aidera en particulier les PME est instauré par l’ordonnance n° 2020-318 du 25 mars 2020.
Remarque : les délais sont prorogés de deux à trois mois suivant le type de structure et sa taille.
Dérogation des règles de la durée du travail et des congés
L’objectif de l’ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 est affiché : permettre aux entreprises et aux salariés d’adapter les conditions de travail pour faciliter la continuité de l’activité dans le respect du dialogue et des impératifs de sécurité de la santé des travailleurs. Le texte permet ainsi aux entreprises, sous réserve d’un accord d’entreprise ou de branche, de fixer ou de modifier les dates de congés payés, dans la limite d’une semaine, en respectant un délai de prévenance d’au moins un jour franc. Dans ce cadre, l’employeur pourra imposer le fractionnement des congés payés sans être tenu de recueillir l’accord du salarié. En outre, quand la situation le justifiera, les employeurs pourront imposer, dans la limite de dix jours au total, la mobilisation de jours de repos, de jours octroyés dans le cadre de RTT et de jours affectés sur un compte épargne temps. De manière temporaire et exceptionnelle, le texte prévoit que dans les secteurs particulièrement nécessaires à la continuité de la vie économique et sociale, des décrets pourront permettre, après information du CSE et des Direccte, de déroger aux durées maximales du travail et aux règles de repos hebdomadaire et dominical.Remarque : la mesure pourrait intéresser tout particulièrement le secteur d’activité du bâtiment considéré comme essentiel à la vie économique du pays et à son fonctionnement.
Prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire
La problématique des délais est fondamentale dans le secteur du bâtiment. Les délais qui sont extrêmement nombreux se rencontrent aussi bien lors de l’exécution du marché de travaux, qu’après réception de l’ouvrage, acte constitutif du point de départ des garanties des constructeurs. Afin de préserver les droits de tous, et s’adapter aux contraintes du confinement, l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 précise que les délais qui arrivent à échéance entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire sont prorogés à compter de la fin de cette période, pour la durée qui était légalement impartie, mais dans la limite de deux mois. Sont visés par le texte les délais qui relèvent de tout acte, action en justice, recours, formalité, inscription, déclaration, notification, ou publication prescrits par la loi ou le règlement, à peine de nullité, sanction, y compris de désistement d’office, de caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque. Il en est de même pour les paiements prescrits par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit.Remarque : l’ordonnance ne prévoit pas de supprimer la réalisation de tout acte ou formalité dont le terme échoit dans la période visée ; elle permet simplement de considérer comme n’étant pas tardif l’acte réalisé dans le délai supplémentaire imparti.La précision selon laquelle sont concernés par les dispositions de cet article les actes “prescrits par la loi ou le règlement” exclut les actes prévus par des stipulations contractuelles. Ainsi, le paiement des obligations contractuelles doit toujours avoir lieu à la date prévue par le contrat. S’agissant des contrats, néanmoins les dispositions de droit commun restent applicables, le cas échéant, si leurs conditions sont réunies, par exemple la suspension de la prescription pour impossibilité d’agir en application de l’article 2224 du code civil, ou encore le jeu de la force majeure prévue par l’article 1218 du code civil. L’ordonnance fixe le sort des astreintes et des clauses contractuelles visant à sanctionner l’inexécution du débiteur. Les astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses de déchéance qui auraient dû produire ou commencer à produire leurs effets entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire sont suspendues : leur effet est paralysé ; elles prendront effet un mois après la fin de cette période, si le débiteur n’a pas exécuté son obligation d’ici là. Les astreintes et clauses pénales qui avaient commencé à courir avant le 12 mars 2020 voient quant à elles leur cours suspendu pendant la période d’urgence augmentée d’un mois ; elles reprendront effet dès le lendemain. Enfin, l’ordonnance prévoit la prolongation de deux mois après la fin de la période d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire pour résilier ou dénoncer une convention lorsque sa résiliation ou l’opposition à son renouvellement devait avoir lieu pendant la période d’état d’urgence augmentée d’un mois.
Source : Thomas Melaine, Dictionnaire Permanent Construction et urbanisme