Rappel par la Cour de cassation des règles de prescription dans le domaine des servitudes

La  Cour de cassation, dans deux décisions récentes (Cass. 3e civ., 24 janv. 2019, n° 17-25.793 ; Cass. 3e civ., 24 janv. 2019, n° 17-25.794, n° 29 D) a estimé que la réforme de la prescription n’a pas eu pour effet de modifier le point de départ des délais ayant déjà commencé à courir. C’est par une décision concernant certaines servitudes, que la Cour de cassation vient d’effectuer certains rappels essentiels, et de portée générale, pour le maniement des règles transitoires assurant le passage des anciennes règles régissant la prescription des actions en nullité dirigées contre les conventions, aux nouvelles dispositions générales issues de la réforme de 2008.

Le point central du litige consistait en effet ici à remettre en cause un protocole d’accord, signé entre voisins en novembre 2004, afin d’octroyer un droit de passage qui, en réalité, existait déjà. Il s’agissait concrètement, pour le bénéficiaire, d’obtenir la restitution de l’indemnité perçue en contrepartie du droit nouvellement accordé mais qui recouvrait exactement un précédent engagement de servitude souscrit quelque 30 ans plus tôt mais apparemment uniquement découvert à la suite d’un jugement intervenu en 2011.
Deux ans après, en mars 2013, la propriétaire assignait donc ses voisins en nullité du protocole d’accord pour défaut d’objet. En vain puisque sa demande, formulée plus de 8 ans après la signature de l’acte litigieux, s’est révélée tardive et frappée par la prescription extinctive. Non pas tant parce qu’elle s’est heurtée aux règles mises en place en 2008, et notamment au délai de droit commun désormais fixé à 5 ans, mais au contraire parce que celles-ci n’ont pas changé la donne.

A l’exception des instances déjà engagées à sa date d’entrée en vigueur, chaque fois que la réforme de 2008 a entraîné une réduction du délai originellement accordé pour agir, la durée abrégée s’est immédiatement appliquée aux prescriptions en cours. Sans pour autant jouer de manière rétroactive ni, évidemment, ressusciter une action déjà éteinte ou prolonger la recevabilité de celles qui devaient l’être entre-temps. Ainsi, et selon un principe repris de manière plus générale par les textes actuels, le nouveau délai s’est appliqué à compter du jour de l’entrée en vigueur de la réforme, sans toutefois que la durée totale de la prescription ait pu excéder celle qui était initialement accordée (Code civ., art. 2222).
C’est précisément ce dispositif qu’invoquait ici le plaignant pour contester l’irrecevabilité opposée par le juge à sa demande. Il estimait que sa requête, initialement soumise à une prescription trentenaire, devait nécessairement bénéficier des mesures transitoires précitées. Si l’adoption de la réforme de 2008 ne lui accordait plus qu’un délai de 5 ans pour invoquer la nullité de la convention litigieuse, celui-ci n’était censé expirer que le 19 juin 2013. Sa plainte formulée 3 mois plus tôt restait donc, selon lui, parfaitement recevable.
Sauf que le raisonnement reposait sur un présupposé erroné : l’action intentée en l’espèce ne relevait pas de celles qui étaient par nature soumises à une prescription de 30 ans. Une erreur que la Cour de cassation s’attache ici à rectifier implicitement en soulignant très expressément que la nullité d’un acte pour défaut d’objet ne tend qu’à la protection des intérêts privés des parties et relève donc du régime des nullités relatives.
Car comme l’avait didactiquement souligné la chambre commerciale pour enterrer définitivement une ancienne conception jurisprudentielle (Cass. com., 28 avr. 1987, n°86-16.084) : ce n’est pas en fonction de l’existence ou de l’absence d’un élément essentiel du contrat au jour de sa formation qu’il convient de déterminer le régime de nullité applicable, mais au regard de la nature de l’intérêt, privé ou général, protégé par la règle transgressée (Cass. com., 22 mars 2016, n°14-14.218, n°370 P + B). Un principe classique de répartition, concomitamment consacré par la réforme du droit des contrats (C. civ., art. 1179), qui avait déjà notamment conduit à ranger dans la catégorie des nullités relatives les actions fondées plus ou moins directement sur un défaut de cause du contrat, et par exemple celles intentées pour vileté du prix (Cass. 1re civ., 20 févr. 2001, n° 99-12.574 par ex).
Or cette classification avait autrefois un impact direct et déterminant sur la durée de prescription applicable puisque, si l’ancien article 1304 du code civil soumettait déjà à une prescription quinquennale de principe les actions en nullité dirigées contre les conventions, cet article, abrogé uniquement en 2016, avait de longue date été réservé aux actions en nullité relative, tandis que les actions en nullité absolue relevaient de la prescription trentenaire.
Si la distinction a aujourd’hui largement perdu de sa portée puisqu’elle n’influe plus sur le délai d’action, désormais uniformément limité à 5 ans pour l’ensemble des actions personnelles et mobilières (C. civ., art. 2224), elle se rappelle ici à notre bon souvenir pour souligner rétrospectivement que, notamment suite à l’abandon de la théorie de l’inexistence, de nombreuses actions en nullité des contrats échappaient déjà à la prescription trentenaire.

En effet, les actions réelles immobilières demeurent soumises à un délai de prescription trentenaire (C. civ., art. 2227) mais les juges d’appel ont ici souligné que la circonstance selon laquelle le protocole prévoyait la constitution d’une servitude ne permettait pas de faire entrer la demande dans cette catégorie.

Second point d’argumentation du plaignant dans cette affaire : à supposer qu’il n’y ait pas eu réduction du délai de prescription initial, n’y avait-il pas lieu de reconsidérer son point de départ ?
Car les textes issus de la réforme de 2008, soumettant par principe les actions personnelles et mobilières à la prescription quinquennale, précisent également que ce délai court à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (C. civ., art. 2224), faisant ainsi prévaloir de manière générale un critère de déclenchement de nature plutôt subjective, mais tenant compte de l’éventualité d’une ignorance coupable.
Il était donc reproché au juge d’avoir retenu la date du protocole d’accord de 2004 comme point de départ objectif du délai de 5 ans, alors que le plaignant était censé n’avoir découvert que bien plus tard la préexistence de la servitude rendant l’acte sans objet, et que c’était donc à la date de cet événement, survenu en 2011, qu’il fallait selon lui se placer pour effectuer le calcul.
Le démenti apporté par la Cour de cassation à cette seconde assertion est tout aussi net que le précédent. Bousculant au passage certains raccourcis antérieurs (Cass. soc., 19 nov. 2014, n°13-19.263), la 3e chambre civile de la Haute juridiction s’oppose en effet à ce raisonnement en affirmant que la loi de réforme de la prescription de 2008 n’a pas eu pour effet de modifier le point de départ du délai de la prescription extinctive ayant commencé à courir antérieurement à son entrée en vigueur. Retour impératif, donc, à l’ancien article 1304 du code civil.
Or il est corrélativement souligné que sous l’empire de ces dispositions, le point de départ du délai de prescription d’une action en nullité pour défaut d’objet se situait bien au jour de l’acte. Si l’article a toujours expressément ménagé un report à une date ultérieure dans diverses hypothèses (actes passés par une personne incapable ou nullité pour vice du consentement) et si les actions fondées sur une erreur ou un dol ont notamment toujours justifié que le point de départ soit effectivement repoussé à la date de leur découverte, une lecture restrictive semble requise.
La réforme ne saurait donc être utilement invoquée comme une seconde chance, de manière rétrospective, grâce à un glissement général du point de départ vers plus de subjectivité. La fermeté de la décision s’y oppose, bien que les notions de nullité pour défaut d’objet, fausse cause (officiellement supprimée de notre droit) ou d’erreur entretiennent parfois des rapports de proximité troublants, avec des perspectives de succès différentes

À propos de l’auteur

COUSSY AVOCATS ENVIRONNEMENT ENERGIE URBANISME

Reconnu en droit de l'énergie et de l'électricité (CRE)
Reconnu en droit de l'environnement
Reconnu en droit de l'urbanisme
Reconnu en droit de la sécurité (CNAPS, CNAC, CIAC)

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