Le Conseil d’État rappelle que les autorisations d’occupation et d’utilisation du sol doivent être conformes aux dispositions de la loi Littoral. La circonstance qu’elles respectent le PLU ne suffit pas à assurer leur légalité.
La loi Littoral reste toujours l’objet d’intenses débats. Cette loi est parfois jugée trop contraignante par certains élus, dans un contexte où les communes littorales sont souvent soumises à une pression foncière importante. Ces débats ont été récemment réactivés avec l’examen de la proposition de loi portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique (Proposition de loi AN, n° 898, adoptée en 2e lecture). Plusieurs amendements déposés, notamment au Sénat, témoignent du désir de certains élus de voir la loi assouplie. Mais la loi Littoral est aussi une fierté nationale, comme l’a montré le succès de la pétition « Ne touchez pas à la loi Littoral », qui a reçu 265 000 signatures, en réponse, justement, à l’éventualité d’un assouplissement.
C’est dans ce contexte que le Conseil d’État a été saisi d’un recours opposant une SARL au maire de Talloires, commune située sur les bords du lac d’Annecy et soumise à la loi Littoral, puisque ce lac a une superficie de plus de 1000 hectares (C. env. art. L. 321-2). Sa décision, rendue par la section du contentieux, c’est-à-dire la formation la plus solennelle avant l’assemblée du contentieux, pose le principe selon lequel la légalité d’une décision individuelle d’occupation ou d’utilisation du sol doit être appréciée au regard des dispositions du code de l’urbanisme particulières au littoral, le respect des règles du PLU ne suffisant pas à assurer cette légalité (CE, 31 mars 2017, n° 392186). Ce faisant, le Conseil d’État ferme définitivement la porte qu’il avait ouverte par sa décision Commune de Porto-Vecchio (CE, 9 nov. 2015, n° 372531), jurisprudence qui avait fait couler beaucoup d’encre et suscité de nombreuses exégèses.
Le débat trouve son origine dans les termes de la décision Commune de Porto-Vecchio, qui précise « qu’en l’absence de document local d’urbanisme légalement applicable, il appartient à l’autorité administrative (…) de s’assurer de la conformité du projet (…) avec les dispositions du code de l’urbanisme particulières au littoral ». Cette décision laissait donc entendre qu’en présence d’un PLU, l’autorité administrative n’avait pas à s’assurer de cette conformité. Cette interprétation n’a pas manqué d’être relevée par les commentateurs et appliquée par plusieurs tribunaux (TA Grenoble, n° 1505405, 29 sept. 2016 ; TA Rennes, ord., 3 mai 2016, n° 1601541).
Le raisonnement se fondait sur la combinaison de deux textes :
– l’un imposant la compatibilité des PLU avec la loi Littoral (article L. 111-1 du code de l’urbanisme, recodifié à l’article L. 131-7 du même code) ;
– l’autre imposant la conformité des autorisations d’urbanisme avec le PLU (article L. 123-5 du code de l’urbanisme, recodifié à l’article L. 152-1 du même code).
Sous l’empire de cette jurisprudence, le PLU faisait ainsi « écran » entre la loi Littoral et l’autorisation d’urbanisme. C’était donc le PLU qui permettait d’assurer le respect de la loi Littoral, les autorisations d’urbanisme ayant seulement à être conformes au PLU. En clair, la loi Littoral ne s’appliquait plus directement aux autorisations d’urbanisme. Une fois le PLU approuvé, les collectivités n’avaient donc plus, en principe, à se préoccuper de la loi Littoral lors de l’instruction des projets, sauf dans le cas où elles constataient, après coup, que leur plan était incompatible avec la loi Littoral (TA Caen, 9 mars 2017, n° 1600161 ; TA Grenoble, 26 mai 2016, n° 1405832). Cette jurisprudence permettait d’éviter la situation paradoxale consistant à devoir refuser un permis non-conforme à la loi Littoral, alors même que le projet était autorisé par un PLU compatible avec cette loi.
Outre cet aspect pratique, la solution avait l’avantage de donner au PLU un rôle central dans l’application de la loi Littoral, permettant ainsi d’éviter qu’il ne soit marginalisé, pour reprendre les termes de Xavier de Lesquen dans ses conclusions sous Commune de Porto-Vecchio.
Mais cette solution a été définitivement abandonnée par le Conseil d’État le 31 mars 2017. Les prémices de ce revirement étaient présentes plus ou moins explicitement dans plusieurs arrêts rendus quelques mois auparavant (CE, 12 oct. 2016, n° 387308 ; CE, 3 oct. 2016, n° 391450). Cette décision peut résonner comme une réaffirmation de la loi Littoral et de la nécessité d’en préserver toute sa portée. Mais en réalité, il semble qu’elle résulte plus d’une volonté d’appliquer la loi Littoral telle qu’elle est prévue par les textes.
En effet, le Conseil d’État, renouant avec son ancienne jurisprudence (CE, 15 oct. 1999, n° 198578), s’est fondé sur l’article L. 146-1 du code de l’urbanisme, dont l’alinéa 5 (devenu l’article L. 121-3 depuis le 1er janvier 2016) mentionne expressément que les dispositions de la loi Littoral sont applicables à toute personne publique ou privée pour l’exécution de tous travaux, constructions, etc. La nécessité de voir la loi Littoral directement appliquée, sous un rapport de conformité, aux autorisations d’urbanisme, résulte donc de la volonté même du législateur.
La décision Commune de Porto-Vecchio s’écartait donc sensiblement de la lettre de la loi Littoral qui prévoit une application directe aux autorisations d’urbanisme. Et l’arrêt du 31 mars 2017 traduit probablement l’intention de se rapprocher de la volonté du législateur qui a conçu la loi Littoral bien plus comme un corpus de règles applicables directement aux autorisations d’urbanisme que comme un ensemble de principes que les documents d’urbanisme ne doivent pas contrarier. Pour le comprendre, il faut examiner cette distinction entre compatibilité et conformité.
En résumé, la décision du 31 mars 2017 impose, de nouveau, aux collectivités de passer les autorisations d’urbanisme sous le filtre de la loi Littoral, même pour les projets situés en zone constructible du PLU. En contrepartie, elles n’auront plus à se préoccuper d’une éventuelle incompatibilité de leur plan avec la loi Littoral. Surtout, cette décision assurera que les autorisations d’urbanisme seront bien conformes à la loi Littoral, comme l’a souhaité le législateur.
ref
http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2017-03-31/392186