TURPE : Les gestionnaires du réseau électrique doivent permettre aux producteurs de choisir le dispositif de comptage : courbes de mesure ou index

La cour d’appel de Paris a rendu une décision, le 31 mars 2016, faisant droit aux demandes de la société Poitou Energy, face à l’entreprise locale de distribution SRD. La cour confirme ainsi la décision du CoRDiS de la Commission de Régulation de l’Energie rendue dans la même affaire. L’apport principal de l’arrêt est la condamnation de SRD au motif qu’elle n’offre pas aux utilisateurs du réseau la possibilité de choisir la méthode par index.

Sur la compétence du CoRDiS

La cour a d’abord confirmé la compétence du CoRDiS :

« Aux termes de l’article L. 134-19 du code de l’énergie, le CoRDiS est compétent pour régler les différends intervenant « entre les gestionnaires et les utilisateurs des réseaux publics de transport ou de distribution d’électricité » et portant « sur l’accès auxdits réseaux, ouvrages et installations ou à leur utilisation, notamment en cas de refus d’accès ou de désaccord sur la conclusion, l’interprétation ou l’exécution des contrats mentionnés aux articles L. 111-91 à L.111-94 (…) » ; l’article L. 111-91 auquel il est ainsi renvoyé prévoit qu’un « droit d’accès aux réseaux publics de transport et de distribution est garanti par les gestionnaires de ces réseaux pour assurer (…) l’exécution des contrats d’achats d’électricité » et qu’à cette fin, « des contrats sont conclus entre les gestionnaires des réseaux publics de transport et de distribution concernés et les utilisateurs de ces réseaux ».

En l’espèce, il n’est pas contesté que les conventions de raccordement et d’accès au réseau conclues entre les sociétés SRD et Poitou Energy relèvent de la catégorie contractuelle définie par l’article L. 111-91 précité. Il n’est pas plus contesté que le différend opposant les parties porte sur la détermination, par ces mêmes conventions, du dispositif de comptage, la société Poitou Energy reprochant à la société SRD d’avoir retenu, à tort selon elle, la méthode de « courbe de mesure », alors qu’elle était tenue de lui laisser choisir la méthode de l' »index ». Force est de constater, dès lors, que le différend en cause est relatif aux conditions de l’accès au réseau géré par la société SRD et qu’il procède d’un désaccord sur la « conclusion », au sens des dispositions ci-dessus rappelées, de contrats destinés à assurer cet accès. Il en résulte que ce différend entre dans la compétence du CoRDiS, telle que définie par l’article L. 134-19 du code de l’énergie. »

Par ailleurs, la cour considère qu’il est indifférent, à cet égard, que la société Poitou Energy ait, devant le CoRDiS, demandé à titre subsidiaire la condamnation de la société SRD à lui payer à titre compensatoire une certaine somme. Si la société SRD estime que cette demande démontre que l’action engagée par la société Poitou Energy à son encontre procédait, non d’un désaccord sur la conclusion, l’interprétation ou l’exécution des conventions de raccordement et d’accès, mais sur une faute contractuelle qui lui était reprochée, il n’en reste pas moins que la demande principale de la société tendait à ce que le CoRDiS règle leur désaccord sur la conclusion de ces conventions et qu’il prenne les mesures propres à en assurer, selon elle, la conformité aux dispositions qui leur étaient applicables, de sorte que le différend dont ce comité a été saisi entrait bien dans sa compétence.

Enfin, la qualité de contrat de droit privé des conventions de raccordement est sans effet sur la compétence du CoRDiS, qui n’est nullement limitée par la loi aux relations contractuelles de droit public, mais s’applique à tout différend entrant dans le champ de l’article L134-19 précité.

Sur le fond

Voici le raisonnement de la cour d’appel, tel qu’exposé dans son arrêt :

« La tarification du raccordement et de l’accès aux réseaux publics de transport et de distribution d’électricité relevait, lors de la signature des conventions en cause, de l’article 4 de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité qui était ainsi rédigé : « (…) les propositions motivées de tarifs d’utilisation des réseaux de transport et de distribution ainsi que les propositions motivées de tarifs des prestations annexes réalisées sous le monopole des gestionnaires de ces réseaux sont transmises par la Commission de régulation de l’énergie aux ministres chargés de l’économie et de l’énergie. La décision ministérielle est réputée acquise, sauf opposition de l’un des ministres dans un délai de deux mois suivant la réception des propositions de la commission. Les tarifs sont publiés au Journal officiel par les ministres chargés de l’économie et de l’énergie ».

En application de ces dispositions, la Commission de l’énergie a transmis aux ministres compétents une proposition, en date du 26 février 2009, relative aux tarifs d’utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité (dite « Turpe 3 »), laquelle a été approuvée tacitement le 5 mai 2009, puis par décision du 5 juin 2009 qui a fixé au 1er août 2009 la date d’entrée en vigueur de ces tarifs. Le Conseil d’État ayant, par arrêt du 28 novembre 2012, annulé ces décisions, la Commission de régulation de l’énergie a transmis une nouvelle proposition de tarifs en date du 29 mars 2013. Ces tarifs ont été approuvés par une décision ministérielle du 24 mai 2013 dont le dispositif était ainsi rédigé : « Les tarifs d’utilisation d’un réseau public d’électricité dans le domaine de tension HTA ou BT pour la période du 1er août 2009 au 31 juillet 2013 sont fixés conformément à la proposition de la Commission de régulation de l’énergie du 29 mars 2013 susvisée ».

La proposition de la Commission du 29 mars 2013, et les tarifs qui y figuraient, étaient dès lors applicables aux conventions que les sociétés Poitou Energy et SRD ont signées entre avril et septembre 2012 et qui sont l’objet du différend qui les oppose. Or, ainsi que l’a justement relevé le Cordis dans sa décision, il ressort de diverses dispositions de cette proposition que l’utilisateur, ici la société Poitou Energy, peut, s’agissant du dispositif de comptage, demander à bénéficier d’un comptage à « courbe de mesure » ou à « index ».

C’est ainsi, en particulier, que l’article 2.4 (« Comptage ») du F (« Structure tarifaire et règles applicables aux utilisateurs des domaines de tension HTA ET BT ») de cette proposition a expressément « reconduit » les précédentes dispositions « permettant aux utilisateurs de choisir librement leurs dispositifs de comptage » et a prévu que serait facturée à ces utilisateurs « une composante de comptage en fonction des prestations qu’ils ont souhaitées (compteur à index ou à courbe de mesure, contrôle de la puissance, etc.) ». En conséquence de ce principe de libre choix de l’utilisateur, l’annexe 2 de la même proposition a prévu que le contrat d’accès passé avec celui-ci préciserait, notamment, « le dispositif de comptage employé ».

Il n’est pas contesté qu’en l’espèce, les contrats de raccordement et d’accès transmis pour signature par la société SRD à la société Poitou Energy ne répondaient pas à ces conditions, puisqu’ils ne permettaient pas à celle-ci de choisir entre un comptage par « index » ou un comptage par « courbe de mesure ». C’est dès lors à juste titre que le Cordis en a ordonné la modification par voie d’avenants à transmettre à la société Poitou Energy dans un délai de deux mois à compter de la notification de sa décision, ces avenants prenant effet à la date d’entrée en vigueur de chacune des conventions ainsi modifiées.

La société SRD soutient, cependant, qu’elle s’est conformée aux dispositions du décret n° 2010-1022 du 31 août 2010 relatif aux dispositifs de comptage sur les réseaux publics d’électricité en application du IV de l’article 4 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, et de l’arrêté du 4 janvier 2012 pris pour son application. Elle fait valoir, en effet, que cet arrêté lui imposerait d’installer des dispositifs de comptage par « courbe de mesure ». Cependant, s’il ressort effectivement des dispositions de ces textes, en particulier des articles 1er et 3 de l’arrêté, que les gestionnaires de réseaux doivent prévoir que ces dispositifs enregistrent les courbes de mesure, cette obligation, qui a, comme le souligne la société Poitou Energy, un caractère minimum, ne les dispense pas de l’obligation, prévue dans les conditions ci-dessus rappelées, d’offrir à leurs utilisateurs la possibilité de choisir la méthode par index.

Enfin, la société SRD affirme que la société Poitou Energy a signé en toute connaissance de cause les conventions litigieuses, dont elle a pu préalablement examiner les clauses, et qu’elle n’est donc pas fondée à les remettre en question, sauf à manquer au principe de bonne foi contractuelle. Cet argument ne saurait cependant être retenu, puisque la circonstance que la société Poitou Energy ait signé ces conventions sans demander préalablement leur modification n’est pas de nature à faire disparaître les effets de leur non conformité aux dispositions ci-dessus rappelées, s’agissant de contrats dont le contenu échappe, pour partie, à la libre négociation des parties et relève d’une réglementation d’ordre public.

Il ressort de ces constatations que les moyens que la société SRD allègue contre la décision déférée ne sont pas fondés ; son recours sera en conséquence rejeté. »

 

Réf : CA Paris, 31 mars 2016, Poitou Energy c/SRD – RG n° 2015/08256

À propos de l’auteur

COUSSY AVOCATS ENVIRONNEMENT ENERGIE URBANISME

Reconnu en droit de l'énergie et de l'électricité (CRE)
Reconnu en droit de l'environnement
Reconnu en droit de l'urbanisme
Reconnu en droit de la sécurité (CNAPS, CNAC, CIAC)

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